Fleurs, oiseaux et fantaisies

Photographies couleur sur aluminium

Si certains fustigent le paradoxe comme un éternuement de l’esprit pour reprendre l’aphorisme de Cioran, d’autres le cultivent comme un vecteur de vérité nouvelle. Sa nature est antinomique. Elle suscite des tensions, parfois fort bizarres mais presque toujours riches d’un sens hors du sens commun. Il y a ainsi un grand bénéfice à étudier la série de photo- graphies qui composent le Corpus décoratif de Sophie Langohr par les pôles qu’elles unissent : le gracieux et le viril, le léger et le grave, le réalis- me photographique et le travestissement infographique … En tout cas, ce point de vue établit d’emblée le lien avec les modèles dont s’est servie l’artiste : les motifs de Jean Pillement (1728-1808), maître français qui fût un temps « peintre de la reine » Marie-Antoinette. Sophie Langohr a le même goût « rococo » pour la contradiction du faussement naturel. Il y a le même plaisir de la surprise et de l’érotisme et aussi le sens de l’ornement. Mais, contrairement aux dessins de Pillement, ici le sujet triomphe sur le décoratif.

Les Fleurs, oiseaux et fantaisies renvoient directement aux stéréotypes sur le travail artistique de la femme, forcément gracieux, léger, fragile, futile presque … à ces « ouvrages pour dames » que sont les broderies, décorations de céramique ou autres aquarelles pour carte postale. Et puis, il y a le corps de l’homme, poilu, ostensiblement viril. L’image très réaliste de l’homme est employée comme espace de création. Il se trouve décoré comme un napperon, une théière ou un service à café. C’est un jeu, au travers duquel apparaît la dimension du semblant. Tout ce travail interroge l’évidence d’un ‘naturel’ féminin et d’un ‘naturel’ masculin ; il la met en doute et, au delà, relève le fantasme d’une fusion amoureuse ».

La référence à l’histoire de l’art constitue un élément de cohérence entre Corpus décoratif et la série des Camées présentée en 2007 : des portraits de profil conçus sur le modèle des bijoux à l’antique. A la beauté intemporelle des créatures de Canova ou de Thorwaldsen, Sophie Langohr oppose le rendu impitoyable des imperfections et des signes de vieillissement des visages. Et, plutôt que de sacraliser les sujets, le blanchiment artificiel des carnations leur donne l’allure morbide. En fait, le style n’est convoqué qu’en apparence ; en définitive, Les camées trahissent le sens même de l’esthétique néo-classique. « Le traitement numérique des images touche les questions du leurre et de la subversion. Ces photographies pervertissent l’idéal de perfection des anticomanes du XVIIIe siècle. Je m’attache à déjouer la notion d’authenticité ». Cette position n’est que partiellement reprise dans Corpus décoratif. Il s’agit bien de relever un leurre, celui du naturel. Mais cela ne s’oppose pas aux intentions de ses sources picturales. Ses dessins épousent l’esprit rococo, non seulement par les sujets et le style, mais aussi par le goût de l’artifice.

En choisissant d’exposer dans une petite salle du Musée de La Louvière, l’artiste a voulu préserver l’intimité de ses photographies. « J’aimais bien les proportions du lieu et, puis aussi, son atmosphère. Elle m’apparaissait un peu désuète, sans doute à cause de la couleur verte des murs. Cela me semblait très juste avec la référence à l’art du XVIIIe siècle présente dans cette série. Il y a aussi deux grandes sculptures en pied, très viriles, puissamment modelées ; l’une d’elles porte le titre Piet riant … Cela m’a amusée. J’ai en outre été frappée par ce que les citations d’Idel Ianchelevici reprises sur les cimaises pouvaient signifier par rapport à ma démarche : Dans l’être humain, c’est l’homme primitif qui m’intéresse et, plus loin, Je cherche à représenter la vie la plus pure. Sans aucune forme de préméditation, il y a un faisceau de contradictions significatives avec mon projet. Mes images n’expriment pas la vérité ; il n’est pas question de pureté ou de mythe primitiviste. Au contraire, elles trompent le naturel et réfutent tout essentialisme ».

Pierre Henrion

Catalogue d’exposition No Style No Glory, Musée Ianchelevici, La Louvière (B).